Présidence française du Conseil de l’UE, les chantiers prioritaires
Cette note détaille quatre chantiers qui nous semblent primordiaux. Il s’agit non seulement de rendre la présidence française du Conseil de l’Union Européenne (PFUE) utile, mais surtout d’assurer la pérennité du projet européen et d’amorcer une véritable orientation fédéraliste pour l’Union Européenne.
La France exerce depuis le 1er janvier 2022 la présidence tournante du Conseil de l’Union Européenne, pour une durée de six mois. Il s’agit de la treizième présidence française depuis 1959. Le Président Macron s’est d’ores et déjà entretenu avec les vingt-six membres de la Commission européenne et sa présidente, Ursula von der Leyen, à propos de plusieurs dossiers que la France souhaite mettre en avant au cours de ces six mois. La question de l’agenda numérique européen et l’idée d’une défense commune figurent parmi ces dossiers prioritaires en plus des questions migratoires et de la réforme de l’espace Schengen.
La crise sanitaire que nous traversons depuis deux ans, ainsi que la montée des tensions aux portes de l’Europe (en Ukraine et au Bélarus) ou plus loin (en Arménie et au Kazakhstan) et le désengagement progressif de l’Amérique – malgré l’apparent « retour » sur la scène internationale clamé par Joe Biden – obligent en effet les dirigeants européens à placer le régalien au cœur de leur action politique.
La cyberdéfense
Les cyberattaques répétées depuis plusieurs années contre des institutions, des entreprises ou même des États européens (le cas de l’Estonie, quasiment mise à l’arrêt en 2008, est emblématique) permettent de parler sans craindre l’exagération d’une « cyberguerre froide ».
Que ces attaques émanent de particuliers, de groupes idéologiques, mafieux, ou d’États concurrents, elles font courir à l’Europe un risque politique et économique majeur.
Depuis plusieurs années, l’UE œuvre pour organiser une politique européenne de cyberdéfense, notamment à travers la création de l’ENISA, l’Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l’information. Entre autres attributions, celle-ci veille à assister les États membres en matière de sécurité de l’information et à suivre l’élaboration des normes pour les produits et services de ce domaine.
Ces premiers pas salutaires dans l’amorce d’une politique de commune demeurent toutefois insuffisants pour garantir la paix et la sécurité numériques en Europe. « Les cyberattaques sont parfois plus dangereuses pour la stabilité des démocraties et des économies que les fusils et les chars« , déclarait dès 2017 Jean-Claude Juncker.
« Nous proposons de placer la cyberdéfense au cœur du volet militaire de la politique européenne et de créer une agence militaire supranationale chargée de la défense et du renseignement numérique »
Nous proposons de placer la cyberdéfense au cœur du volet militaire de la politique européenne et de créer une agence militaire supranationale chargée de la défense et du renseignement numérique, dont les missions ne seraient plus seulement juridiques et bureaucratiques, mais aussi techniques. Enfin, la mise en commun des moyens de cyberdéfense des États membres et le partage automatique des données est une condition sine qua non pour assurer à l’Europe la sécurité et la souveraineté numérique.
La question migratoire
Au cœur des discussions et des débats depuis des décennies, la question migratoire est une préoccupation majeure des dirigeants européens depuis 2015, année d’un afflux massif de migrants fuyant la Syrie, l’Irak, mais aussi des pays d’Afrique tels le Soudan ou l’Érythrée.
Laxisme déguisé en humanisme, irresponsabilité déguisée en fermeté : telle a été, en grande partie, l’attitude des États-Nations sur la question migratoire. L’Allemagne a ainsi accueilli un million de migrants entre 2015 et 2017, tandis que la France en a accueilli plus de 600 000 sur la même période, parfois sans même contrôle aucun, comme l’a admis l’ancien président François Hollande.
La position des pays d’Europe centrale a en revanche été bien plus ferme. Ainsi, lors du référendum du 2 octobre 2016, les Hongrois ont rejeté à 98,3% les quotas automatiques de migrants imposés par le Conseil de l’Union européenne. Des divergences politiques et philosophiques d’une telle ampleur sur même sujet dans une même confédération d’États sont susceptibles de mettre en péril l’unité européenne.
« Nous plaidons dès lors pour une politique migratoire et transfrontalière commune »
Nous plaidons dès lors pour une politique migratoire et transfrontalière commune. Dans l’esprit de la réforme de l’espace Schengen, proposée par la Commission en décembre dernier, qui sacralise la libre circulation sans contrôle aux frontières intérieures et vise à renforcer les frontières extérieures de l’UE, nous prônons l’élargissement des prérogatives de l’agence Frontex. Nous plaidons également pour sa transformation en une police des frontières européenne dotée de moyens idoines.
Enfin, nous sommes résolument attachés à la Convention de Genève et au droit d’asile, un précieux acquis politique et humain dont nous voulons conserver l’esprit en réservant l’accueil sur le sol européen aux seules victimes de persécutions religieuses, politiques, ethniques, sexuelles ou d’autres atteintes aux droits de l’homme, à l’exclusion, donc, des migrants économiques ou climatiques.
Les relations entre États membres
La force de l’Union européenne réside dans son caractère confédéral : une assemblée de nations indépendantes ayant chacune sa culture et ses valeurs sociétales propres, mais devant servir les mêmes intérêts afin de peser ensemble dans le concert mondial des puissances.
« L’UE semble être devenue une institution à but normatif, comme en témoignent les pressions exercées par les instances européennes sur les pays d’Europe centrale à propos de leur vision sociétale et culturelle »
Or, depuis quelques années, l’UE semble être devenue une institution à but normatif, comme en témoignent les pressions exercées par les instances européennes sur les pays d’Europe centrale à propos de leur vision sociétale et culturelle.
Pour les majorités progressistes au pouvoir en Europe occidentale, leur modèle a vocation à s’imposer à l’ensemble des peuples européens.
Cette tendance nous semble à la fois liberticide et contre-productive : liberticide parce qu’elle nie l’histoire et la sensibilité particulière de chaque peuple et confère – unilatéralement – un caractère universel à un modèle parmi d’autres.
Elle est également dangereuse parce qu’une telle attitude est à même de créer un climat de tension inutile avec ces pays et de les pousser à se rapprocher de puissances rivales telles que la Chine et la Russie.
À travers les récentes réformes touchant au mariage des personnes de même sexe, à l’IVG, à l’euthanasie ou à d’autres sujets sociétaux, les majorités au pouvoir en France et dans d’autres pays d’Europe de l’Ouest, ont opté pour une orientation clairement progressiste.
« Le but de l’UE ne doit pas être la promotion de tels ou tels standards moraux ou sociétaux, mais de veiller à assurer la paix, la sécurité, la prospérité et la souveraineté de l’Europe sur le plan international »
Cependant, il serait tout à fait irréaliste, arrogant et (surtout) contre-productif d’imposer à nos amis polonais, hongrois ou tchèques d’adopter la même vision. Le but de l’UE ne doit pas être la promotion de tels ou tels standards moraux ou sociétaux, mais de veiller à assurer la paix, la sécurité, la prospérité et la souveraineté de l’Europe sur le plan international.
Dès aujourd’hui, il nous semble nécessaire de clarifier le partage des compétences entre l’Union européenne et les États afin d’éviter de nouvelles tensions et la formation de groupes d’États frondeurs au sein de l’UE.
Dans le modèle fédéral que nous voulons pour l’Europe, les domaines social, culturel et économique doivent être du ressort exclusif des États, ainsi que tout ce qui a trait à la justice interne (sur le même modèle que les États américains). En revanche, la diplomatie, la défense, le renseignement, l’immigration, les frontières, la politique budgétaire ainsi que la recherche, le développement des nouvelles technologies et l’énergie doivent relever des instances fédérales.
Les relations extérieures de l’Union européenne
Notre histoire et nos luttes communes pour la démocratie nous rapprochent des États-Unis ; la géographie nous donne pour voisines la Russie et la Turquie ; l’économie fait de la Chine un partenaire commercial.
Ces puissances n’en demeurent pas moins des concurrents directs, tant sur le plan économique que géopolitique. Les pères fondateurs du fédéralisme européen étaient motivés par un profond attachement à la paix. L’Europe fédérale que nous proposons de construire doit évidemment demeurer fidèle à ces principes. Elle ne saurait cependant, sous peine de naïveté, négliger le réalisme qui sous-tend les relations entre acteurs géopolitiques. Elle doit, dès lors, se définir comme une puissance supranationale ayant avec les puissances environnantes des rapports au possible amicaux, sans rien sacrifier de ses intérêts.
« Nous souhaitons suspendre – au moins à court terme – l’admission de nouveaux États membres, afin que l’Europe puisse mettre à profit cette période pour régler les divisions internes et recouvrer l’unité nécessaire »
Nous souhaitons suspendre – au moins à court terme – l’admission de nouveaux États membres, afin que l’Europe puisse mettre à profit cette période pour régler les divisions internes et recouvrer l’unité nécessaire – par ailleurs, tout élargissement ultérieur devant être validé par un référendum à l’échelle fédérale.
Nous réaffirmons en outre la nécessité que l’Europe acte définitivement son opposition à l’admission de la Turquie aussi bien pour des raisons géographiques et culturelles que du fait des nombreuses violations des droits fondamentaux qui y ont cours.
Le refus de convier certains pays dans le concert des Nations européennes ne signifie pas la négation des liens géographiques, économiques et militaires qui relient ces pays à l’Europe. Nous appelons l’UE à définir un nouveau partenariat avec la Turquie, la Russie, Israël et d’autres puissances régionales qui, sans faire partie de l’Europe, en sont néanmoins partenaires.
Ensemble, nous avons besoin d’un dialogue et d’une action commune, notamment sur les questions énergétiques, sécuritaires et migratoires.
Cette définition peut se concrétiser par la création d’un nouveau statut pour ces États, ou par l’élargissement des prérogatives du Conseil de l’Europe dont la Turquie et la Russie sont membres.
Photo : France Diplomatie – MEAE